Wilco, un groupe de rock américain
Avant d’aborder le cœur de ce billet (la prestation de Wilco dans la salle lilloise L’Aéronef le 18 juin dernier et les réflexions que j’en retire), j’aimerais parler d’une petite histoire que mon ego m’empêche de cacher. Quelque chose qui a forcément influencé ma vision du concert, ma perception de Wilco en général. La veille de ce concert, je faisais quelque chose que je ne fais jamais, à savoir aller boire une bière seul dans un bar lillois. La Capsule est presque vide à cette heure, un couple âgé, deux jeunes femmes, et un anglophone au fond du bar. Je remarque sa présence et il se passe un truc dans ma tête que je ne saurais pas définir, peut-être l’avais-je déjà intimement reconnu. Car une demi-heure plus tard, je m’étouffe dans ma bière en voyant entrer un homme un peu âgé, plutôt grand et à l’allure reconnaissable : cet homme, c’était Nels Cline, guitariste solo de Wilco. Il était accompagné de Glenn Kotche et ils rejoignaient, au fond du bar, un certain John Stiratt.
Je les laisse tranquille, bien que je ne résiste pas à des clins d’œil furtifs et à faire remarquer au barman qu’il sert des petites célébrités. Puis je me laisse aller, empoignant un dernier verre et me dirigeant vers leur table : je me serais senti bête de ne pas échanger quelques mots avec eux. L’entente est immédiate, si bien que je passe une demi heure avec eux, et que, juste avant que je parte, Nels Cline me propose de les rejoindre pour leur aftershow après le concert du lendemain. J’accepte, et tant pis pour ma volonté d’aller me coucher tôt ce soir-là.
Ce soir-là. Venons-en donc au fait. Épuisé par une sieste peu concluante, un peu troublé par l’expérience de la veille, j’arrive en retard pour la première partie, Ken Stringfellow, collaborateur de Big Star et R.E.M. Tant pis, le morceau que j’ai entendu était sympathique, mais pas de quoi sauter au plafond je pense.
21 heures, quelques minutes, 6 américains montent sur scène, fringués de façon décontractée (exit les “Nudie Suits”, ces fameux costards de cowboy que le groupe portait sur scène dans les années 2000). On échappe quand même pas à un large chapeau posé sur la tête du leader Jeff Tweedy. Je m’étais noyé, très bêtement, dans les vidéos de lives, notamment une vidéo filmée au Paradiso de Amsterdam deux jours plus tôt, je pensais donc savoir à quoi m’attendre. Et finalement, même pas : tous les soirs, pour cette tournée, Wilco a décidé de jouer des sets différents, et ce soir-là, il y eut des surprises, des moments attendus, de la spontanéité gérée avec professionnalisme.
Le concert s’ouvre sur “You Are My Face”, ballade country issue de “Sky Blue Sky”, un album vieux de plus de douze ans, mais ici interprétée avec cette classe incroyable, cette emphase, cette très légère mise en scène dans la pose et dans le chant, une chanson qui ressemble à un morceau venu de la tradition américaine, une chanson mélancolique et déprimée, et pourtant un appel à se satisfaire des petites choses. Le ton est donné : même si les chansons de Wilco, ces hymnes dadrock écrits comme des hommages à la beauté et la tristesse de la vie, sont effectivement lourds de sens, la soirée sera une soirée joyeuse, une soirée presque festive.
Les morceaux s’enchaînent, avec une évidence désarmante, le groupe liant de vieux morceaux de rock 90’s à des ballades douces (“California Stars”, décidément éternel), en passant évidemment par ces morceaux ambitieux qui résument toute l’intelligence de ces musiciens. “Impossible Germany”, ce morceau que je n’ai jamais compris, ce morceau qui ne tient pas et qui est pourtant un triomphe, ses paroles abstraites et sophistiquées, ce solo hallucinant joué avec une fougue inimitable, tout est fantastique ici, et pourtant qu’est-ce que je craignais de me retrouver face à un concert dont j’attendais trop et qui ne me toucherait pas.
En somme, en voyant Wilco jouer, me me demande si le groupe ne se présente pas, en quelque sorte, comme une synthèse du rock américain. Si ils ont déjà été décrits comme le Radiohead des États-Unis (une bien drôle de comparaison, vu l’iconoclasme des britanniques et les appels au passé des américains), ils sont finalement bien plus que tout cela. Il y a, dans ce concert de Wilco, beaucoup de choses à la fois, il y a Woody Guthrie, il y a Neil Young, mais leur jeu est plus marqué par le rock contemporain qu’on pourrait le penser, et parle ainsi parle aussi bien aux passionnés et aux érudits (appels au krautrock, à Television, aux rocks alternatifs des années 90 façon Yo La Tengo…) qu’aux gens plus portés sur le rock “classique” des années 60. Wilco est le résultat d’une véritable tradition, d’un folklore américain et d’une musique populaire que peu de gens savent aussi bien résumer, et surtout aussi bien transmettre. Jeff Tweedy lui-même est la preuve de cela : ce chapeau improbable fais de lui l’héritier d’un folklore, sa musique en appelle au folk acoustique, mais ses paroles jouent constamment sur la célébration et le rejet de l’artiste rock torturé. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que le groupe est infiniment plus connu aux États-Unis qu’en Europe : la formation de Chicago est prophète dans un pays qui adore les prophètes. Alors qu’en France, il n’y aura pas eu de prophètes, j’en ai parlé l’autre jour.
Et sinon, finalement? 6 morceaux de Yanquee Hotel Foxtrot, un “Nothing!” répété trente fois à la fin de “Misunderstood”, deux rappels, Jeff Tweedy qui a très chaud et qui reconnait une jeune femme en pleurs au premier rang, un concert absolument impeccable, magnifique, épuisant, cathartique et émouvant.
Et l’aftershow? Je ne sais pas si il y a grand chose à dire là dessus. La vie de ces gens, qui se lèvent la matin pour faire de la musique et qui le font pour gagner leur vie, est magnifique, mais cette rencontre avait-elle finalement quelque chose de vraiment fascinant? Il n’y avait heureusement rien de forcé, sans doute ces gens-là aiment-ils enfin pouvoir partager du temps avec leurs fans (d’autant plus qu’ils assurent que les fans de Wilco sont, curieusement, souvent des gens bien, “we have no stalkers or anything like that”…). Bref, on apprend, discutant librement, que Nels Cline, “the old man of Wilco”, est un fan absolu des Meat Puppets, que Steve Albini et Jeff Tweedy sont amis, on rit avec eux quand Glenn Kotche oublie la date de l’anniversaire de Pat Sansone. Et au-delà de ça, des mots passionnants sur l’art, sur le fait d’enregistrer de la musique, de faire une tournée mondiale.
J’ai rencontré Wilco, un des meilleurs groupes de rock américain, et surtout le groupe qui définit le mieux le rock américain.