Arab Strap – Philophobia

On est de nouveau confinés. Et la situation est encore pire qu’avant puisque cette fois-ci, je ne suis pas auprès de ma famille, mais enfermé entre quatre murs en région parisienne. J’ai pour compagnie un coloc plutôt taiseux, une bibliothèque que j’ai enfin le temps de ranger, l’ordinateur portable ou je passe mes journées à bosser pour mon Master. Il y a quelque chose que j’ai ramené du dernier confinement, quand même. C’est Arab Strap. Je n’ai jamais autant écouté Arab Strap que pendant le premier confinement, et avec le deuxième confinement, je continue de me shooter avec leur musique, en particulier leur deuxième album, Philophobia, que je connais depuis des années mais que je n’ai jamais autant écouté qu’en 2020.

Année de merde, musique de dépressifs, ça va ensemble? Arab Strap est loin d’être le groupe le plus triste que j’ai écouté de ma vie. Je trouve au contraire que Philophobia est un album assez neutre de ce point de vue. Rappelons que le groupe avait, à la fin des années 90, la réputation d’être le groupe le plus bordélique d’Écosse : les récits de leurs concerts, torchés à la Stout ou défoncés à l’ecsta, sont assez poilants. Les chansons d’Arab Strap ne sont pas non plus à proprement parler des odes à la débauche, loin de là. Ce ne sont pas des chansons déprimantes non plus. Arab Strap offrait autre chose, en 1998. Leurs chansons étaient les chansons les plus honnêtes, les plus réalistes au monde. Ils n’ont jamais écrit des titres aussi poignants que sur ce foutu album.

Le langage est cru, les instrumentations et la production sont souvent minimalistes (et pourtant un pas de géant a été franchis depuis leur premier album, l’austère The week never starts around here). L’ouverture de l’album, “Packs Of Three” en dit long, direct : “it was the biggest cock you’d ever seen / but you’ve no idea where that cock has been”. Il y est aussi question de préservatifs (les fameux “packs of three”), de planning familial, et de regrets amers.

Philophobia ne parle que de ça. La moitié des chansons parlent de cul, les deux tiers d’amour, le dernier tiers de rupture. Des infidélités, des souvenirs enfouis, des bagarres débiles. Le projet derrière l’album, expliquait récemment le chanteur Aidan Moffat, était de créer les chansons les plus sincères et honnêtes possibles. Ils ont réussi : aucune chanson ne parvient à être aussi simplement honnête que les chansons de Philophobia, ce sont des morceaux de vie sans filtre, sans esthétisation débile, des tranches de vies saisies sur le vif dans toute leur étrangeté et leur absurdité. Toute leur cruauté aussi, quand les larmes surviennent, quand l’hypocrisie remonte. Mais Aidan Moffat s’en justifiait récemment, de ces jugements moraux, de cette méchanceté : “It was always important to me that I wasn’t any kind of moral authority in these songs; I was no better than anyone. As I would say in a song a few years later, everyone takes a turn at being a dick”.

Il y a pourtant beaucoup d’humour dans l’album, un humour souvent crado d’ailleurs (sur “I would’ve liked me a lot last night”, récit trash d’une gueule de bois terrible : “The room stinks of poppers and the bog’s full of bile / at least i’m not shitting blood again”). Il y a même de purs moments de tendresse, en particulier “Islands”, peut-être une des chansons les plus légères et les plus ouvertement poétiques du groupe, où deux amants sont comme des voyageurs en quête de terres inexplorées. J’ajoute que les compositions de Malcolm Middleton n’ont jamais autant brillé, on passe du rock alternatif noisy que n’aurait pas forcément renié leurs copains de Mogwai à la fin du terrible « New Birds » à des chansons hors du temps et délicates comme « The Night Before the Funeral », qui fut longtemps ma chanson préférée du disque, avec ce pont à la trompette incroyable, l’orgue, le magnifique air de guitare qui ouvre le morceau.

Maintenant je ne sais plus distinguer quelles chansons je préfère sur ce disque. Je les aime toutes et je les connais toutes par cœur, ayant écouté ce disque au moins une trentaine de fois cette année. Au point que j’espère que mon anglais ne prenne pas un fond d’accent écossais. Je pense que si j’arrive à l’écouter autant (et s’il m’émeut toujours autant), c’est parce que contrairement à beaucoup d’albums prétendument intimes ou tout est raconté sans filtre, ça ne s’embourbe jamais dans les licences poétiques à deux balles. Ce sont des vrais moments de vie. Des vraies gens. De vrais moments de tristesse, de stupeur, de souffrance, et aussi de rire, d’ivresse et de mélancolie. De quoi se rappeler le monde d’avant.

I feel out with a lover, I fell out with my friends

I’m still trying to decide where the weekend ends

No solids on Sunday, we can eat in the week

You said I was fucked – you’ve got some fucking cheek

You said we had a good time

I hear I was a right laugh

I really loved you a lot last night

I could’ve hugged you to death last night

Arab Strap, ” I Would’ve Liked Me A Lot Last Night “