Einstürzende Neubauten – Alles In Allem
Je me rend compte que depuis quelques temps j’ai beaucoup parlé de Einstürzende Neubauten. J’ai reconnu du Artaud chez leur lider maximo Blixa Bargeld, j’ai réussi à les caser dans mon mémoire, et surtout, j’ai forcé auprès de pas mal d’amis avec leur nouvel album, Alles In Allem. Finalement, ce n’est qu’une résurgence qui ne me surprend guère. Car Einstürzende Neubauten est un des groupes les plus importants de ma vie, et ma rencontre avec la première partie de leur carrière a été un choc musical dont, des années après, je ne me suis peut-être pas tout à fait remis.
Pourtant, aujourd’hui, ce n’est pas forcément la partie de la carrière qui me touche le plus. Il est vrai que quand on évoque Neubauten aujourd’hui, ce à quoi on pense le plus immédiatement, c’est à ce groupe de musique industrielle né dans les années 1980, et qui, par l’usage d’instruments concrets et par une approche radicalement expérimentale, a livré des œuvres gigantesques, de Kollaps en 1981 au crépusculaire Haus Der Lüge en 1989, après quoi le groupe manquera de s’effondrer. Mais au début des années 1990, Neubauten existe encore, et leur musique évolue. Blixa Bargeld avait appris, au sein des Bad Seeds de Nick Cave, à écrire de véritables morceaux, et le chaos des débuts laissait la place à quelque chose de nouveau. En 1993, table rase, littéralement : le groupe sort Tabula Rasa, un album ou on entend d’authentiques pop songs. Qu’on se comprenne, des chansons, il y en avait chez Neubauten, mais elles étaient en mutation constante, ou quand elles étaient de vraies chansonnettes, c’était fait avec beaucoup de second degré.
Neubauten tracera donc son propre sillon pendant des dizaines d’années, ce sillon pop bâtard et toxique, ou les guitares saturées rejoignent les tuyaux de PVC et les cris suraigus se mêlent aux envolées de cordes. Cela aboutira, en 2000, à leur chef d’oeuvre, Silence Is Sexy, dont ils n’ont jamais su se relever. Car après, disons-le, ça ronronne un peu. On s’ennuie de plus en plus sur leurs albums, qui semblent faire de plus en plus de sur-place à chaque fois, malgré quelques éclairs de génie (un “Die Wellen” par ici, un “Armenia” par-là…). C’est comme si le groupe l’avait compris, n’ayant pas sorti de véritable nouvel album depuis The Jewels en 2007. Il y a bien eu le projet Lament, commande live réalisée pour le centenaire de la première guerre mondiale, mais la version studio du projet n’avait aucun interêt. 40 ans après leur création, les revoilà donc avec Alles In Allem, album d’anniversaire qui ressemble à un adieu.
Autant le dire tout de suite, il n’y a absolument rien de nouveau chez Neubauten : cet album reprend exactement les choses là ou Neubauten les avaient laissé dans les années 2000. Alles In Allem est une sorte d’album modeste, qui n’a pas l’ambition d’un Ende Neu ou d’un Silence Is Sexy. On pourra reprocher au groupe de Blixa Bargeld d’avoir fait du sur-place, mais je pense curieusement que c’est la plus grande qualité de cet album. A force de ne plus attendre grand chose d’eux, on sait désormais se contenter de ces dix chansons écrites et composées avec un indéniable talent. Comme si, après des années de surenchère dadaïste et de réflexion post-modernes, Neubauten se contentait de dire quelques petites choses, avec une certaine modestie.
Alles In Allem est, surprise, un album splendide, certainement le meilleur album de Neubauten depuis 20 ans. C’est peut-être un album un peu plus sage que d’habitude, et si certains morceaux, notamment l’inquiétant “Zivilisatorisches Missgeschick”, nous rappellent que le groupe fut un jour presque inécoutable, Alles In Allem est un de leurs albums les plus accessibles. C’est aussi et surtout un album d’artisan, un album dont chaque morceau est une pièce chérie avec le plus grand soin, un album qui atteint parfois d’incroyables sommets dont on aurait plus cru capable le groupe berlinois, de la sublime chanson-titre à l’amère “Wedding”.
J’ai surtout écrit ça pour parler, de manière générale, de Neubauten, que je considère comme un des groupes les plus importants de l’histoire de la musique “pop”. Et pour dire ceci : j’ai toujours vu Neubauten comme un groupe qui, peut-être sans en avoir pris conscience, proposait une réflexion sur la modernité, le futur, et même sur ce que nous appelons aujourd’hui l’effondrement. Et oui, c’est vrai, ils se sont embourgeoisés. On reconnait encore moins que d’habitude les dilettantes anarchistes des années 80, on ne voit plus ici que des dandys bourgeois. Neubauten fait le choix d’en rire, et d’assumer son embourgeoisement et celui de son public. Je pense qu’ils sont toujours du bon côté de la barricade.
Alles in allem, alles auf einmal.