Johnnie To, “The Mission” & “Exilé”
Je suis un gros amateur du cinéma hard-boiled hong-kongais. Bien que je n’ai eu l’occasion que de voir les plus gros classiques du genre (il y en a tout de même pas mal), je suis absolument stupéfait par la qualité de ces films, drôles, impressionnants, poétiques. Il y a dans ces films un véritable geste, un kitsch toujours assumé, une réflexion magnifique sur la violence et sur les rapports entre les êtres humains. Et si longtemps John Woo a été mon réalisateur favori dans le genre (j’écrirais sans doute un texte sur Une Balle Dans La Tête ou sur Hard Boiled un jour), les deux films qui me fascinent le plus dans le genre restent The Mission et Exiled, de Johnnie To.
The Mission est, comme souvent chez Johnnie To, un film au scénario incroyablement classique : un chef de triade se retrouve poursuivi par des assassins et engage des hommes de main pour le protéger. Au casting, tous les habitués de chez Johnnie To : Antony Wong, Lam Suet, Francis Ng… Ils protégerons leur boss des attaques de ses ennemis jurés.
Mais pourtant, The Mission est un peu différent du reste des films de ce genre : c’est un film ou il ne se passe pas grand chose. C’est un film ou les personnages passent une bonne partie du film à attendre : ils attendent l’arrivée de leur boss, attendent dans une cuisine de devoir l’accompagner, ne font rien de spécial après avoir accompli leur mission… C’est ce qui rend les (rares!) scènes de fusillades encore plus brillantes. Car contrairement au cliché qu’on peut s’en faire, The Mission est un film à l’image calme, systématiquement lisible, étonnante de clarté. Et lorsque ses héros font parler la poudre, ils le font de façon immobile.
Le gunfight du centre commercial est à ce niveau le plus révélateur : rarement on aura vu une fusillade aussi tendue filmée avec tant d’apaisement. Encerclés, les héros du film répondent avec des gestes méthodiques, chorégraphiés avec une extrême précision, et ou les effusions de sang ne sont que souplesse, au contraire des explosions d’hémoglobine qu’on retrouve ailleurs chez To ou dans le cinéma hong-kongais en général. Même la conclusion du film, avec son climax étonnant et impressionnant, sa fausse fin, est brillant de simplicité, de sobriété.
Mais le film devient à proprement parler fascinant lorsqu’on le met en relation avec sa vraie fausse suite : Éxilé. Vraie fausse suite car Éxilé reprend pas mal de codes de son frère, avec son scénario minimaliste, déjà, qui raconte l’histoire d’une bande de criminels partant à Macao, à la recherche de leur ancien ami, devant protéger ce dernier d’un parrain local (magistralement interprété par Simon Yam, déjà monumental dans les deux volets de Election). Le casting, également, est le même, chaque acteur rejouant le rôle qu’il avait dans The Mission, reprenant les mêmes mimiques, les mêmes codes, les mêmes relations avec ses frères d’armes. Et pourtant, tant de choses changent. Le premier complimente le second, le second est un miroir inversé du premier.
Le premier est bleu, glacé, froid, le second est écarlate, à la fois sombre et lumineux. Le premier est un film dont les héros se distinguent par leur immobilité, le second est un film dont les personnages ne sont que mouvement, parfois à la limite de la danse (rien d’étonnant à ce que Johnnie To ait plus tard réalisé des comédies musicales). Le premier est mis en musique sobrement, avec de la musique électronique typique du genre, le second est plus ambitieux, avec des guitares électriques et des ambiances sonores qui font du pied à Ennio Morricone.
Éxilé est d’ailleurs, presque ouvertement, un immense hommage au cinéma de Sergio Leone : le récit simple, la musique omniprésente, les scènes de tension… Même son scénario en lui-même est un appel du pied, plus brillant encore, une relecture du concept de western : des hors-là-loi partant en direction d’un ouest sauvage pour libérer leur ancien ami des griffes d’un brigand, dérobant sur le chemin un convoi de lingots d’or (!) et défendant malgré tout la veuve et l’orphelin, le tout avec des thématiques proprement mythiques de la culture des triades hongkongaises : amitié, fraternité, loyauté, compétences hors du commun avec les armes à feu.
Deux films miroirs, deux films magnifiques, deux films qui se font des appels et qui se répondent magnifiquement entre eux, deux films dont j’oublie les défauts et les étrangetés.