Spectateurs et protagonistes

Sometimes I think nothing is simple but the feeling of pain.

Nicola Samorì, Rupture, 2009

Au détour d’un tweet qui tournait cette incapacité à faire quoi que se soit en dérision, j’avais cette pensée terrible : je ne sais rien faire.

C’est une pensée grave et dramatique qui n’appartient pas au bonheur que j’essaie de vivre. La nouvelle vie que j’essaie de mener, de bonheur immédiat, d’esthétique et d’insouciance ne saurait pourtant combler ce malaise profond. Il y a beaucoup de raisons de souffrir, même pour moi : mon poids, ma vie ennuyeuse, le fait que je ne sois pas à l’aise dans les relations interpersonnelles, mon manque de revenus. Ma solitude, surtout. Mais ce qui me fait le plus souffrir est peut-être le fait d’être proprement incapable. Pas incapable de quelque chose : incapable tout court.

Il faut pourtant vivre avec : je vois les autres incapables autour de moi. Ils ne savent pas écrire. Ils ne savent pas peindre. Ils ne savent pas sculpter. Ils ne savent pas composer. Ils vivent avec. Ils échangent avec bonheur la vie encombrée de protagoniste contre la vie de spectateur. Ils font avec. Mais moi, ça me met mal à l’aise. C’est sans doute l’un des problèmes de la solitude : la question éternelle et presque Camusienne du sens de la vie. On vit pour les autres, mais on ne compte pour personne. Mais même seuls, ils vivraient avec : ils se contenteraient du monde. Moi, j’ai honte. J’ai appris à penser, mais je ne sais rien et ne sers à rien.

On me demande souvent, quand je parle de musique et que d’autres voient ma passion, si je fais moi-même de la musique. Je répond toujours, feignant l’assurance, un “non, non” un peu détaché avant de partir sur autre chose. De même quand on me demande si, passionné par l’histoire, par ces détails qui remettent en doute tout ce qui semble avoir été ou par ces passés au sein desquels on peut peut-être puiser un futur, si j’ai déjà pensé à faire de la recherche. Le même “non, non” avant de botter en touche. C’est une honte : j’ai la passion mais je n’ai aucun talent. Je ne pourrais rien produire de brut car je sais ce qui peut être créé.

Il me prend alors l’envie de tout refaire, de partir de ce monde de gens qui savent et ont appris à faire, pour changer complétement et plus tard les rejoindre. Mais c’est trop tard : je suis trop vieux, pas assez jeune. Je me demande si j’aurais pu faire quelque chose. Si quelque chose aurait pu avoir lieu un jour. Là ou je me suis planté.

Je suis condamné à être spectateur d’un théâtre où je suis sans cesse invité à monter sur scène. Mais je ne connais pas le texte.