Emmanuel Mouret – Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait

Je lis partout des prises de paroles de gens qui affirment que ce début d’automne est un cauchemar éveillé, que les choses n’ont jamais été aussi difficiles; jamais la rentrée n’aurait été aussi compliquée. Même moi qui suis un privilégié par rapport à d’autre, je ne peux que me joindre à ce sentiment de doux désespoir qui semble être à l’ordre du jour. C’est entre autres pour ça que je suis allé au cinéma pour aller voir le dernier Emmanuel Mouret (qui est aussi mon entrée en matière avec ses films), parce que j’ai désormais envie d’appeler plus souvent mes proches, d’aller plus souvent au cinéma… Je me suis même mis à tenir un carnet, je me suis déjà remis au sport et je me contrôle mieux quand il s’agit d’aller se torcher la gueule avec des amis. Aller au cinéma cet après-midi, pour moi, c’était un peu ma façon de prendre le train en marche en cette période de galère, de revenir à la normale et d’avoir une sorte de rythme de vie, tranquille, sans problème. Mais je ne pense pas que tous mes séjours au cinéma (que j’espère plus réguliers et que j’espère être motivés par autre choses que des grossièretés comme Tenet désormais) soient aussi bouleversants que ce dimanche après-midi ou j’ai été vu Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait.

Bouleversé, c’est peut-être un peu fort, et pourtant il s’est certainement passé quelque chose que je n’attendais pas (ma seule motivation pour aller voir ce film, c’était le conseil d’un ami qui l’avait adoré). Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait se déroule tranquillement, à travers les récits, ni tout à fait parallèles, ni tout à fait inversés, d’histoires d’amour et de désamour. Et si la première heure du film est relativement linéaire, avec deux récits romantiques racontés acte par acte par Daphné et Maxime (Camélia Jordana et Niels Schneider), le film s’engage ensuite dans quelque chose de bien plus élaboré, voir dramatique, racontant avec complexité des relations amoureuses qui se font et se défont, le tout avec une justesse désarmante. Car il y a des amants, des tromperies, des triangles amoureux qui s’ignorent, des mensonges, des aveux terribles, et pourtant, ce qui me marque est la pudeur avec laquelle Mouret évoque tout ça.

C’est d’autant plus touchant que c’est peut-être la première fois que que je vois des histoires d’amour racontées sans aucun jugement moral, et pourtant sans cynisme. Le personnage de Vincent Macaigne, François, en est l’exemple le plus frappant, ce personnage si attachant, drôle, gauche, mais jamais vraiment un “bon amant” (une notion qui ne semble pas vraiment exister ici), ni un salaud : il aime une femme, s’est trompé et la trompe, il les aime toutes, il choisit l’omission sans pour autant la choisir comme un moindre mal… Bien sûr, Mouret est “malin” : il glisse de temps à autre des petits pieds-de-nez à ses personnages et au spectateur, notamment en glissant dans de nombreux plans des couples, heureux, qui s’embrassent, en arrière-plan, et des remarques confuses sur le sens de l’amour, le présentant justement comme une question insoluble. Il y a sans doute une réflexion profonde sur les sentiments, mais cette réflexion est volontairement indéchiffrable : en témoigne la fin du film, qui se termine sur une sorte de statu quo. Chez d’autres réalisateurs ça aurait peut-être été l’occasion de conclure le film sur un ton inquisitorial plein de bonne conscience, avec un jugement puritain. Rien de tout cela ici : Maxime, Daphné et François suivent leur propre chemin et continuent leur route, ils aiment mais se doivent de continuer à vivre.

Finalement, j’ai l’impression, et c’est peut-être faire trop d’honneur à Emmanuel Mouret, que cette histoire alambiquée et étrange est racontée avec tant de justesse, de mesure, avec un peu trop de préciosité parfois, qu’il y aurait ici la volonté de mettre dans le marbre le mythe de l’amour au XXIème siècle, d’ajouter des touches de modernité à un drame humain. D’écrire le nouveau grand mythe romantique de notre temps. Car je crois que ce qui est dit ici et qui est trop peu dit ailleurs, ou plutôt, quelque chose qui est souvent très mal dit ailleurs, c’est à quel point l’amour est une chose complexe. Et est une chose qui doit être dite avec toute la complexité, toutes les aspérités qu’elle demande.