Rencontre avec Walter Benjamin : Humeur de mémoire, 19 février 2020

Le mémoire stagne. Et pourtant, cette stagnation ne m’inquiète pas. D’un côté, elle me rassure, même. Quand je parle de stagnation, je veux dire que je n’ai plus l’exaltation des débuts, que de nouveaux éléments ne viennent pas bouleverser l’ensemble, que mes axes vont plus ou moins pouvoir se transformer en plan détaillé. Non, désormais, je ne fais que fouiller certains éléments, ayant les réponses à la plupart de mes questions, je vais pouvoir enfin m’atteler à fouiller un peu certains axes que j’avais pour l’instant délaissé, je vais pouvoir songer à retourner fouiller mes quelques sources écrites.

Alors on fouille pour trouver des détails. Il me tarde de mettre la main sur les travaux de Dominique Poulot sur la notion de Patrimoine, peut-être de prolonger ma bibliographie sur le “nouveau musée” et sur les nouveaux objets muséaux des dernières décennies du XXème siècle. Il me tarde de consulter Benhamou et son “économie de la culture”, pourquoi pas Adorno avec ses travaux sur les industries culturelles et sur la musique populaire, travaux que j’ai pour l’instant un peu délaissé; l’impression que j’en ai est celle d’un pessimisme révoltant. Du pessimisme, il y en a aussi chez Simon Reynolds, dont je viens de lire quelques pages du Rétromania pour ce mémoire. Il y cite beaucoup Walter Benjamin. Benjamin, en voilà un que j’ai lu, voilà l’événement du mois de février dans les boyaux de ma tête.

“Alors que l’on s’était déjà perdus en vaines subtilités quant à savoir si la photographie était un art – sans s’être préalablement demandés si ce n’était pas la nature elle-même de l’art qui avait été entièrement transformée avec l’invention de la photographie – les théoriciens du cinéma reprirent bientôt à leur compte, et de manière prématurée, la même interrogation.”

Il y a beaucoup de passages marquants dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Il y a cette vision du cinéma “comme un missile projeté sur le spectateur”. Cette conclusion qui appelle à une “politisation de l’art” face à “l’esthétisation de la politique” du fascisme. Mais ce passage. La photographie renouvelant par sa naissance même le statut de l’art. Peut-être même le premier cliché de Nièpce avait-il tout bouleversé. C’est magnifique, alambiqué et un peu complexe sans doute, mais c’est magnifique.

Quelques jours plus tard, je sors avec des amis, je suis bouleversé par Tommaso de Ferrara (j’en parle ici). Ce samedi soir, à 7 heures du matin, épuisé par la nuit, je parle avec un ami à la fenêtre. Plus tôt dans la soirée, nous parlions de Chapoutot, l’historien qui fait jaser en ce moment avec son association plutôt osée entre management nazi et management contemporain. Maintenant, nous parlons du Rojava, et finalement de Benjamin. Il me lance une sorte de défi : lire ce texte mythique de Benjamin, Sur le concept d’histoire, dès le lendemain. Nous savions tous les deux que je ne le ferais pas. Le lendemain serait en effet une journée de rire et de repos. Mais d’ici quelques semaines, ce sera fait : il sera sur ma table de chevet d’ici ce week-end, à côté de Je hais les lundis de Jann-Marc Rouillan. Mon ami m’affirme qu’avec tout ça, ce n’est qu’une question de temps avant que je sois avec lui, peut-être pas encore sur les barricades, mais au moins en cortège de tête. Il me fera rencontrer “les copains”. On rit, ce n’est pas impossible, mais c’est dans l’absolu improbable. Mais qui sait…

Pendant ce temps, j’écoute encore Josh T. Pearson, je suis touché par quelques autres albums, ennuyé par le The Necks. Et puis il y a Christophe : après avoir écouté deux de ses albums, ce sera un troisième qui, enfin, me transpercera. Ce sera Aimer ce que nous sommes. Christophe, lui, ne parle pas de Benjamin. Par contre, il parle de Artaud. “Quoique on pouvait lire dans son r’gard, toute l’émotion. Mais quand elle lisait Artaud, là, ça c’était sublime. Pour moi, c’était sublime…”